Savoir renoncer...

L’avion est réservé depuis un mois pour le week-end vers l’île d’Yeu. C’est l’inconvénient des aéroclubs. Il faut faire des paris sur le temps qu’il fera longtemps à l’avance. Ou acheter un stock de cierges digne d’une procession du 15 août, c’est selon. Les prévisions grand public données le dimanche soir à la télé semblent confirmer que ça pourrait passer. Mais à 7 jours, c’est de la divination et de toute façon en aucun cas applicable au VFR. C’est juste pour que Madame Chombier sache si elle mettra un pull ou son imper pour aller au marché. Guère plus de crédibilité.

Vendredi, je peaufine ma nav, très optimiste. J’ai décidé de voler haut et même de négocier une verticale de l’aéroport de Nantes. Un joli trait tout droit de VOR en VOR (3 sur la route) qui me permettra même de voler on top (au-dessus d’une mer de nuages) sans me perdre. Je prévois quand même dans un coin de carte et de ma tête la route mauvais temps : suivre l’autoroute... et bien noter les altitudes de sécurité.

Samedi matin, la brume est tenace, comme annoncé la veille. Le service des prévisions VFR de Météo France est saturé. Le prévi de Toussus est beaucoup plus disponible et, très serviable, nous confirme nos craintes. Dimanche, ça ne passera pas. Les radars et satellites montrent une perturbation très chargée sur l’Atlantique qui nous promet de beaux orages. Il faut donc rappeler l’hôtel pour annuler la nuit sur l’île d’Yeu, réservation que j’avais dégotée la veille in extremis. Tant pis... Il nous reste une belle journée normalement.

Je récupère deux gilets de sauvetage du plus beau jaune, dépose le plan de vol pour le survol maritime en prévoyant un décollage à 11h15. Le temps de charger tout le barda pour un week-end de deux jours, plus 2 kg d’atlas VAC avec toutes les cartes des terrains au cas où.

L’ATIS passe 5 km de visibilité. Ce n’est pas énorme, mais il y a plus que ça, 8 je pense. Je demande l’ouverture du plan de vol. « UA, on n’a pas encore reçu votre plan de vol » Bon... tant pis. Décollage en 05 à 11h28.

Je monte aussi haut que je peux, c’est-à-dire même pas 2000 ft. Le météo de Toussus nous a dit qu’il faisait beau plus loin. Philippe, dans son Grumman, veille 123.45 et nous dit qu’il a trouvé un trou pour monter au FL45 et que son plan de vol n’a pas été retrouvé. Je contacte maintenant Seine Info pour activer le mien. Même punition... Puis finalement :

« Uniform Alpha, vous confirmez la destination l'île d'Yeu ?
— Affirm, Lima Fox Echo Yankee, UA
— Ah... parce que vous avez un plan de vol pour Gray
— Gray ??? (intérieurement, c'est où ? en fait, en pleine Franche-Comté) c'est quoi le code OACI ?, UA
LFEV
— Je suis sûr de moi, j'ai l'impression d'Olivia sous les yeux...
— Qu'est-ce que je fais ? Je vous le change pour Yeu ?
— Ben oui... Je veux bien si je fais un survol maritime. Merci Madame ! »

Alors ? Olivia a encore fait la bringue hier soir ? LFEY, LFEV... Ça ressemble méchamment à une erreur de copie manuelle. C’est triste avec une interface automatique...

Le temps ne s’arrange pas. Dreux passe avec ses grandes éoliennes. Je suis toujours tiré par le VOR CHW de Chartres, en fait situé à la Loupe. Les barbules des nuages ne sont pas faciles à distinguer devant mais sur le côté, on voit bien qu’elles sont au-dessus de l’aile, donc ça va. Puis, les barbules sont sur les ailes et les gouttelettes frappent le pare-brise. 1500 ft QNH, sans doute dans les 700 à 800 pieds sol. Demi-tour !! Les pieds au plancher, cap de sortie, les yeux sur l’horizon artificiel et l’altimètre. Nous nous sommes faits piéger dans un coin connu pour sa petite colline qui accroche la crasse. Le plafond remonte doucement et nous retrouvons les conditions précédentes.

J’essaie de contacter Seine Info pour leur demander la dernière de Nantes, histoire de voir si je veux toujours monter au-dessus de la couche. Il y a des trous là-bas. Pendant que nous rebroussons chemin, je scrute les trous mais ça reste soudé.

Décision. On rentre. « Chavenay Tour, Uniform Alpha, de retour cause météo... » Je fais fermer le plan de vol et retour au club. La table est dressée dans le hangar et c’est avec grand faim, attisée par ces émotions, que nous nous joignons à la tablée, non sans avoir laissé des messages sur les répondeurs des autres pilotes en vol que l’île d’Yeu, ça sera sans nous.

Cette déception me hante tout le week-end en regardant le soleil par la fenêtre. Qu’il est difficile de renoncer lorsque tout est organisé, lorsque l’on est attendu ! Mais la sécurité passe par là, et d’autres occasions se représenteront.