Purée de pois chartraine

Ça y est, l'hiver est là. Les voitures sont givrées le matin. Le brouillard tarde à se lever. Pourtant, je ne suis pas inquiet. La météo a annoncé une journée de grand beau temps. J'avais préparé ma nav pour Chartres la semaine dernière. Mais vu le temps, on n'avait que relu la préparation de ma nav sur la table du club-house de l'aéroclub.

Samedi matin, au réveil, le ciel a l'air de mon côté. Je vois les avions très hauts dans le ciel dessiner de longues traînées blanches. Il fait beau et froid.

METAR LFPN 230800Z 03005KT 5000 SKC M01/M02 Q1037 NOSIG

Une fois de plus sur la route en allant au club, je trouve que le ciel se charge : les joies des champs à la campagne qui libèrent toute l'humidité nocturne. Verdict des habitués du terrain, on ne voit pas les collines. En gros, la visibilité est plutôt moyenne... 4 ou 5 km. Mon instructeur rentre de son cours précédent et nous convenons tous les deux que le temps n'est pas terrible mais que ça semble se lever. Au moment de remplir la feuille pour dire au club avec quel avion, avec qui, quand et où nous partons, je demande justement ce que l'on fait. Ben, j'avais préparé Chartres... — Essayons, on verra là-haut ! Je rigole en disant que je lui ai préparé une belle navigation aux instruments à cause du chemin en ligne droite et qui passe en plein au-dessus de la balise d'Epernon. Bien évidemment, on n'a pas le droit de voler dans les nuages.

Décollage en 05 à cause du vent du Nord-Est à l'opposé donc de notre direction. Je n'ai pas trop l'habitude d'utiliser cette piste. Ça doit être la deuxième fois. On fait le tour de Chavenay et là... je suis complètement perdu... Je ne vois plus mes repères habituels qui sont à 5 km de moi : l'incinérateur, Ikéa, la station d'épuration, la ferme, etc. Du calme, un peu de méthode. Il y a d'autres repères mais il faut les chercher plus près de soi, vers le bas. Il ne fait pas assez beau pour regarder loin devant. Nous quittons le circuit en cheminant le long de la voie ferrée, qui doit m'amener à mon point de départ pour cette petite navigation. J'avais prévu de monter à 1800 ft (600 m) pour la première branche de ma nav. Je continue de monter quand tout à coup, je me retrouve dans les nuages sans n'avoir rien vu venir... Pas bien ! Les sensations sont très étranges ! On reprend tout de suite une trajectoire en douceur vers le bas pour en sortir. Cela n'a pas duré 10 secondes mais c'est impressionnant. Changement de plan, on va rester là, un peu en dessous des nuages, soit environ 1300 pieds. Je commence à me dire qu'on va sagement rentrer à la maison. Mais non, on continue.

Je suis sur mon trait pile au bon endroit. Mon instructeur me donne quelques conseils : en navigation dans des conditions dégradées (j'aime la tournure de l'expression), il faut tenir avec encore plus de précision son cap et son altitude. Pas question d'aller se balader et de se perdre. Alors je m'applique, on voit toujours le sol, ou plutôt la forêt, défiler sous nos ailes. Par moment, un stratus un peu plus épais me cache le sol à gauche, mais de l'autre côté, c'est bon. Je me demande si l'on ne va pas faire demi-tour, je ne suis pas trop fier. Dans un trou, j'aperçois des arches : ce sont celles d'un aqueduc (?) dans le parc du château de Maintenon. Mes calculs me disent que l'on est tout près du terrain. Je connais bien ce coin : la sortie de l'A11 et sa rocade pour aller à la maison de campagne, le centre commercial juste derrière l'aérodrome et surtout un élément difficile à rater : les flèches de la Cathédrale que l'on voit à des kilomètres et qui faisaient notre jeu dans la voiture. Soudain, dans la brume, les deux flèches inégales de la Cathédrale se dessinent. Nous y sommes. Je cherche le terrain de mon côté sur ma gauche : bingo ! pile dessus. Je suis assez fier de ma nav IFR avec le VOR d'Epernon et les quelques repères glanés au sol.

Je me présente à la verticale du terrain à 2000 pieds. Un coup d'oeil à la manche à air, l'aire à signaux. Ici, il fait plus beau qu'à Chavenay. Je fais mes messages radio sur la fréquence déserte. Il n'y pas beaucoup de gens attirés par ce beau temps, on dirait. J'essaie de faire un tour de piste à peu près correct, d'éviter les villages sur la carte, la grue marquée. Et un toucher sur la piste 10 en dur. Qu'est-ce qu'on fait ? On s'en refait un ? Ben oui, je ne suis pas venu ici pour rien ! Allez, c'est reparti pour un tour de manège à écarquiller les yeux pour ne pas perdre la piste des yeux en vent arrière. Dernier toucher et on repart. J'ai fait n'importe quoi... L'avion a redécollé tout seul alors j'ai dû vouloir le reposer. Mais de travers sur une piste en bitume, l'avion tire droit... Il paraît que je suis paresseux du pied droit : je ne contre pas assez le vent à l'arrondi, ni les effets de la remise pleins gaz du moteur. A travailler !

Cap 030° retour vers la maison par le même chemin. Je suis concentré sur mon horizon artificiel et me convaincs que je vole les ailes à plat. Un nuage sur ma gauche est plus haut que celui de droite et j'ai l'impression visuelle très nette d'être en virage. Je comprends un peu plus ce qui est écrit dans les livres sur la désorientation sensorielle lorsque l'on se retrouve dans les nuages. Le cerveau se construit une fausse image et il faut se persuader que les instruments ont raison. Mon retour est un peu moins précis, je suis à gauche de mon trait et n'arrive pas à revenir dessus. Il doit y avoir un peu de vent qui me pousse de la droite. Nous coupons la N12 qui nous ramène à la voie de chemin de fer puis au terrain où le plafond est comme au départ : pas très haut. Le contrôleur me demande une arrivée verticale terrain, sans doute pour savoir exactement où je suis. Et là, il me demande un 360° de retardement à cause d'un avion au départ et des informations de trafic sans visuel. Je fais un tour sur moi-même juste à l'intersection des pistes et à la limite des barbules des nuages... Atterrissage sans encombre et retour au parking pour un vol d'1h25. Heureusement qu'il fait à peine 5°C dehors, je crois que je serais en nage sinon.

Mon solo de l'après-midi est annulé. Chouette, je ne comptais pas y retourner seul de toute façon et je peux savourer un petit verre de champagne à la table du club-house qui prend des allures de festin de Noël !